vendredi 13 novembre 2015

Marin SORESCU - (1936 - 1996), l'écrivain roumain le plus célèbre et le plus traduit de la seconde moitié du vingtième siècle


Jeu d’échec 


Je déplace un jour blanc
Lui un jour noir.
J'avance d'un rêve,
Il me le reprend à la guerre.
Il m'attaque les poumons,
Je médite une année durant à l'hôpital,
Je fais une combinaison réussie
Et lui enlève un jour noir.
Il déplace un malheur
Et me menace avec le cancer
(Qui, pour l'instant, avance en forme de croix),
Mais je pose devant lui un livre
Et l’oblige à se retirer.
Je gagne encore quelques pièces
Mais déjà une moitié de ma vie
Est éliminée du jeu.

-Échec à l'optimisme ! tu vas perdre !
Me dit-il.

-Ça ne fait rien, lui dis-je en plaisantant,
Je fais la rocade des sentiments.

Derrière moi, ma femme, les enfants,
Le soleil, la lune et les autres amis
Tremblent à chaque mouvement que je fais.
J’allume une cigarette
Et continue la partie.







J'ai aperçu de la lumière 

J'ai aperçu de la lumière sur Terre,
Alors je suis né, moi aussi,
Pour voir comment vous allez,
En bonne santé ? Vaillants ?
Comment ça se passe avec le bonheur ?
Merci,ne me répondez pas.
Je n'ai pas le temps pour les réponses,
A peine si j'ai le temps de poser des questions.
Mais je me plais ici,
Il fait chaud,il fait beau,
Et il y a tant de lumière
Que ça fait pousser l'herbe.
Et cette fille, tiens,
Elle me regarde avec le cœur...
Non, chérie, pas la peine de m'aimer.
Par contre, je veux bien servir un café noir
Fait par tes mains.
J'aime que tu saches le faire
Amer.


Jugement Dernier

On m'a tué le temps,
Honorable instance.
Lorsque je revins volontairement
De la guerre
J'ai remarqué
Que mon temps avait été amputé
Du cœur, de la bouche et du front.


Mais même dans cette situation on ne l’a pas laissé tranquille,
On lui a fait faire des jours-tourments, des jours-larmes, des jours-machine, des jours-bœuf,
Et un tas de choses
Qui ne l'intéressaient pas.


On s'est mis à expérimenter sur lui
Toutes sortes de poisons
"Tristesse", "ennuis"
On les appelle comme ça... il me semble.
Mais le coup de grâce 
Il lui a été donné dans la tête
Par un morceau de destin
D'essence forte,

Excusez-moi pour le dire,
Mais cella n'était pas une vie !

Depuis, j'ai gaspillé même une moitié de la mort
En faisant la queue
Pour vous annoncer ma cause
Ici,
Au Jugement Dernier.


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