Lorsque j'étais à la prison
de Wandsworth, j'aspirais à la mort.
C'était mon seul désir.
Quand j'ai fus transféré ici,
et que après deux mois passés à l'infirmerie, je constatai que ma santé
physique s'améliorait, je fus pris de fureur.
Je décidai de me suicider le
jour même de ma sortie de prison.
Au bout d'un certain temps,
ces funestes dispositions disparurent et je résolus de vivre, mais de me
revêtir de mélancolie comme un roi de revêtit de pourpre, de ne plus jamais
sourire, de transformer en maison de deuil toute demeure dont je franchirais le
seuil, d'obliger mes amis à régler leur pas sur ma tristesse, de leur apprendre
que la mélancolie est le vrai secret de la vie, de les affliger d'une douleur étrangère,
de les accabler de ma propre peine.
Mes sentiments sont
maintenant absolument différents.
Je vois qu'il serait à la
fois ingrat et cruel à moi d'avoir l'air triste au point que, lorsque mes amis
viendrait me voir ils devraient avoir l'aire plus triste encore pour me
témoigner leur sympathie, ou que si voulant les recevoir, je les invitais à
s'attabler en silence devant des herbes amères ou un repas funèbre.
Il me faut apprendre à être
gai et heureux.
Lors de deux dernières
occasions où l’on m'autorisa à recevoir ici mes amis, je m'efforçai d'être
aussi gai que possible et de montrer ma gaieté pour compenser un peu la peine
qu'ils avaient prise en faisant tout le trajet de Londres pour venir me voir.
Ce n'est là, je le sais,
qu'une compensation bien légère, mais c'est ce qui, j'en suis certain, leur
fait le plus plaisir.
Il y a samedis huit jours, je
vis Robbie pendant une heure et m'efforçai de donner la plus complète
expression à la joie que me causait vraiment sa venue. Et la preuve que j'ai
tout à fait raison dans les vues et les idées que j'ai expose ici pour moi-même
m'est donnée par le fait que, pour la première fois depuis ma détention, j'ai
maintenant un vrai désir de vivre.
***
Le vrai sot, celui que les dieux raillent ou détruisent, est celui qui ne se connaît pas lui-même. J'ai trop longtemps été celui-là. Tu as trop longtemps été celui-là. Ne le sois plus. N'aie nulle crainte. Le vice suprême est d'être superficiel.
Dans la vie, il n'y a vraiment ni grande ni petite chose. Toutes choses sont d'égale valeur et d'égale dimension.
Je le dis sans la moindre amertume et m'en tiens simplement à l’expérience de la vie commune. En fin de compte, le lien de toute vie commune, que ce soit dans le mariage ou dans l’amitié, doit avoir une base commune. Entre deux êtres dont la culture diffère grandement la seule base commune possible se trouve au niveau le plus bas.
Les dieux sont étranges. Ce n'est pas uniquement de nos vices qu'ils font des instruments pour nous châtier. Ils nous mènent à la ruine par ce qu'il y a en nous de bonté, de douceur, d'humanité, d'amour. Sans ma pitié et mon affection pour toi et les tiens, je ne serais pas en train de pleurer en ce terrible lieu.
Ta haine pour ton père atteignait une mesure telle qu'elle surpassait, anéantissait et éclipsait ton amour pour moi Tu ne te rendais pas compte qu'il n'y a pas, dans la même âme place pour ces deux passions. Elles ne peuvent cohabiter dans cette noble demeure. C'est l'imagination qui nourrit l'amour et nous rend plus sages que nous ne nous en rendons compte, meilleurs que nous ne le pensons, plus nobles que nous le sommes. C'est grâce à elle que nous pouvons voir la vie dans son ensemble, c'est grâce à elle , et à elle seule, que nous pouvons comprendre les autres dans leur rapport réel aussi bien qu'idéal. Seul ce qui est beau et hautement conçu peut nourrir l'amour. Mais n'importe quoi nourrit la haine.
La haine aveugle l'homme. Tu n'en avais pas conscience. L'amour peut lire ce qui est écrit sur la plus lointaine étoile. Mais la haine t'aveuglait à tel point que tu ne pouvais voir au-delà de l'étroit jardin emmuré de tes désirs vulgaires, déjà flétri par la soif du plaisir.
Mais tandis que je me réjouissais parfois à l'idée que mes souffrances seraient sans fin, je ne pouvais supporter qu'elles fussent dénuées de sens. Maintenant, quelque chose en moi me dit que rien au monde n'est dénué de sens et la souffrance moins que toute chose. Ce qui est enfoui en mon être, comme un trésor dans un champ, c'est l"humilité.
C'est là tout ce qui me reste, et le meilleur: cette ultime découverte à laquelle je suis parvenu, le point de départ d'une évolution nouvelle. Issue de moi-même, je sais qu'elle est venue au moment opportun. Elle n'eût pu venir plus tôt ni plus tard. Si quelqu'un me l'avait annoncée je l'eusse rejetée. Si on me l'avait apportée, je l'eusse refusée. Maintenant, c’est l'unique chose qui possède pour moi les éléments d'une vie, d'une vie nouvelle, une "vita nuova". De toutes choses, c’est la plus étrange. On ne peut la donner à personne et personne ne peut vous la donner. On ne peut l’acquérir qu'en renonçant à tout ce que l'on a. Il faut avoir tout perdu pour savoir qu'on la possède.
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